Parmi toutes les formes de communication imaginables, la provocation est un art délicat. Certains en ont fait leur style de vie ou leur fond de commerce, comme un grand nombre de comiques, avec plus ou moins de succès. La racine latine du mot « provoquer » (provocare) a pour sens « appeler dehors« . En ce sens, elle suscite la curiosité, ravive l’intérêt du récepteur du message.
Dans un champ médiatique particulièrement obstrué (nous recevons plusieurs milliers de stimuli commerciaux par jour), faire entendre sa voix et son message devient une tâche ardue. Dès lors, comment attirer l’attention du consommateur, déjà saturée par les publicités radio, TV, internet, affiches, magazines et journaux ? L’originalité et l’intelligence d’une campagne font souvent mouche, et évidemment, la provocation est l’une des armes qui permet d’interpeler son public.
Une bonne communication ne se contente pas de toucher le raisonnement de son interlocuteur, elle va le bousculer sur le terrain des émotions et du ressenti. La joie, la tristesse, l’envie d’ailleurs, la nostalgie, la jalousie sont tout autant de flèches qui viennent frapper le coeur du consommateur.
La provocation ne laisse jamais indifférent. Elle va faire sourire, réfléchir ou agace mais il y aura toujours un retour.
Sommaire
C’est dans nos gênes !
Certaines marques en ont fait leur ADN. On citera évidemment Benetton qui a produit un grand nombre d’affiches publicitaires, sans qu’aucun de ses produits ne soit affiché, en misant simplement sur un message subversif. Au début des années 80, les affiches Benetton sont très colorées, jouant sur les racines ethniques, les drapeaux et l’anti-racisme. Nous sommes alors dans les années « Touche pas à mon pote ». Peu à peu, les vêtements de la marque disparaissent pour ne plus miser que sur un message de tolérance.
Un tournant est marqué au début des années 90, notamment avec une campagne qui se verra interdite en Italie montrant un prêtre embrassant une none. Le message s’oriente désormais vers des sujets d’actualité. Misant tour à tour sur la nudité, la différence, le sexe ou la religion, Benetton abordera le Sida, le racisme, la guerre ou le handicap.
En 2011, alors que la marque a amorcé un déclin, une nouvelle campagne nommée « UnHate » voit le jour, montrant plusieurs personnalités s’embrasser, dont un baiser homosexuel entre le Pape Benoît XVI et l’imam sunnite de l’université égyptienne Al-Azhar, Ahmed el Tayyeb. C’est un déluge de protestation qui s’élève face à la marque. Le Vatican parle même de poursuites pénales. Devant ces menaces, Benetton retire ce montage photo et présente des excuses. Cette campagne sera même jugée vulgaire et pathétique par Oliviero Toscani, l’ex-photographe (depuis 1983 !) de la marque et pourtant auteur d’un grand nombre de campagnes sulfureuses.
Si cette série d’affiches lui a permis de revenir sur le devant de la scène médiatique, et dans l’esprit des consommateurs, il n’est pas certain que le capital sympathie de Benetton s’en soit vu amélioré (ni ses parts de marché). Mais une marque est-elle légitime en tant qu’acteur social et politique ? D’autant qu’elle a intérêt à être irréprochable sur ces plans de son côté.
Se démarquer pour survivre
La rentrée journalistique de septembre 2014 est marquée du sceau du remaniement politique. Suite à un week-end agité par Messieurs Montebourg et Hamon, nous débutons cette semaine par l’échec du gouvernement de Manuel Valls et ce mardi seront annoncés ceux qui devront retrousser leurs manches pour attaquer cette rentrée difficile.
Arnaud Montebourg, le frondeur, le polémiste, l’agitateur des réseaux sociaux, fait une fois de plus parler de lui. Habitué de la provocation et des petites phrases chocs, j’ai décidé de l’ajouter à cet article.
Cette petite provoc lui aura permis de revenir sur le devant de la scène et de se démarquer d’un gouvernement moribond. Mieux encore, sa petite estocade lui apporte le soutien d’une partie des électeurs de gauche, déçus par l’actuel président, voyant en lui le probable successeur pour 2017.
Le temps nous a montré que sa stratégie était loin de porter du fruit puisque celui-ci a même quitté la politique. La communication (surtout politique) est un vaste jeu d’échec, chaque mouvement de pion a son importance.
Un positionnement face à la concurrence
Free, avec son image de trublion de l’internet a joué sur la provocation à plusieurs reprises, travaillant ainsi son image d’outsider et d’opérateur plus proche du peuple et anti-système. La provocation s’est jouée sur le plan concurrentiel, Free n’hésitant pas à qualifier les clients des opérateurs de téléphonie mobile concurrents de « pigeons ». Pas d’images chocs (à part pour l’une des premières publicité Free affichée ci-dessous), juste une politique de positionnement différentiel qui ne plaira pas toujours au trio historique. D’ailleurs, le tribunal de commerce de Paris condamnera Free Mobile à verser 25 millions d’euros à Bouygues Télécom pour « dénigrement et concurrence déloyale ».
Les tentatives malheureuses
Il n’est pas rare que des marques s’essaient à l’humour provocant, ou taquin, avec plus ou moins de finesse. Au début des années 70, la banque BNP, associée à Publicis, lance une campagne qui marquera les esprits et entrainera quelques remous. Sur les affiches, un banquier au regard et au sourire carnassiers ose avouer : « Pour parler franchement, votre argent m’intéresse« . Bien loin de l’image rassurante de la communication habituelle des banques, celle-ci fait froid dans le dos.
Néanmoins, cette image va permettre à la BNP de sortir de l’ombre et de combler son déficit d’image. Si l’idée est bonne, il y a certainement une erreur de casting sur le personnage représentant la société. Les consommateurs ne sont pas rassurés par le personnage et en interne, personne ne souhaite être associé à ce bonhomme déplaisant.
Plus proche de nous, la société Numéricable a tenté l’humour un brin machiste avec la formule « Téléchargez aussi vite que votre femme change d’avis« . La formule ne fait pas l’unanimité sur les réseaux sociaux, mais l’objectif est atteint : on parle de Numéricable pour une petite blague pas bien méchante dans le fond. Ce n’est d’ailleurs pas la première tentative du FAI puisque dans le métro parisien, une précédente campagne d’affichage se moquait des loyers de la capitale.
Ce type d’humour ne fera jamais l’unanimité, mais ces cas sont plutôt amusants et n’ont pas entrainés de gros retours négatifs. Inversement, le message est purement commercial et ne tente pas d’apporter un éclairage nouveau ou une réflexion particulière. Il ne tente pas non plus, comme peut le faire Benetton, d’interagir avec l’actualité. C’est un équilibre difficile à obtenir que de choquer suffisamment pour faire parler de soi, d’entrainer juste ce qu’il faut de réactions négatives pour alimenter le débat et d’être capable ensuite de rééditer l’exploit sans se griller !
Surtout, n’oubliez-pas, il n’est pas nécessaire d’être subversif pour faire de l’effet ou sortir de l’oubli ! Les campagnes « vraies » de Dove en sont un bel exemple. Loin des leaders du marché, Dove choisit de se distinguer en prônant une nouvelle forme de discours parmi les fabricants de produits de beauté. A partir de 2004, Dove met en avant des femmes dont le physique sort des normes de beauté des publicités habituelles. Armé de supports de communication divers (affiches, pubs TV, vidéo sur le Web, …), la campagne de Dove fait le buzz, elle parle aux femmes et apporte des résultats incroyables, tant en notoriété qu’en parts de marché.
Le « Choc Advertising » pour réveiller les consciences
La publicité provocante et trash est un terrain idéal pour marquer les esprits. La sécurité routière en fait l’usage chaque année, les publicités anti-tabac et Amnesty International également. Des images chocs pour lutter contre la dépendance, contre les accidents, contre la torture, la faim dans le monde, le réchauffement climatique, tant de sujets qui méritent que chacun s’y attarde.
C’est le secteur le plus légitime pour utiliser cette forme de communication, toutefois, devant la multiplication de ces images chocs, ne risque t-on pas une accoutumance dangereuse ? De la même façon que la violence et le sexe au cinéma ont fini par se banaliser jusqu’à un certain point (comparez un film policier des années 50 et un d’aujourd’hui, il y a une nette différence), ne risque t-on pas par la surabondance de messages choquants de perdre en impact ? Les campagnes deviennent d’ailleurs de plus en plus trash pour se faire remarquer du public.
Quand atteindrons-nous le point de non-retour ? Y a t-il un seuil de tolérance au-delà duquel le message produit l’effet inverse ? Plutôt que le choc visuel, ne peut-on pas viser davantage le choc psychologique ?
Les bénéfices de la provocation
Elle provoque des débats
Rien de tel que d’aller à contre courant de la pensée générale pour entrainer une discussion. C’est d’ailleurs ce que l’on conseille aux écrivains et blogueurs, écrivez quelques articles de ce type et vous entrainerez des réactions. Reste le dosage à gérer …
Elle suscite des questionnements
Une fois l’attention du public captée, une campagne bien orchestrée amènera à se poser des questions. Sur des thèmes tels que la lutte contre le tabac, la sécurité routière, etc, c’est le but recherché.
Elle peut avoir des vertus pédagogiques
Une fois la phase de questionnements passée, on espère que le public en tire des leçons … et les applique ! Il faut plus que des campagnes de pubs TV pour changer des comportements, mais une campagne de prévention complète (associée à d’autres éléments comme la répression sur les routes par exemple) permet d’obtenir des résultats probants qui s’inscrivent dans la durée.
Les risques de la provocation
Le risque principal est d’aller trop loin, de trop vouloir en faire et de se brûler les ailes. La sentence est rapide (surtout à l’heure des réseaux sociaux) : le bad buzz ! Construire l’image de son entreprise est un travail long et fastidieux, la détruire est extrêmement rapide !
Avec les polémiques qui fleurissent depuis deux jours sur la blogosphère, je me faisais justement la remarque que certains blogs semblent attendre la polémique pour publier, parce qu’ils savent que le sujet sera commenté, partagé, réseauté …
Est-ce bien raisonnable ?
En réalité, j’ai écris cet article avant les polémiques du week-end. Après ce qu’il s’est passé, il m’a semblé nécessaire de rajouter un tout petit paragraphe sur ce petit épisode politique.