Le téléphone portable intelligent, communément appelé smartphone, est devenu indispensable pour la majorité d’entre nous. En l’espace de quelques années, il est passé d’outil de communication à pièce de mode, tout comme votre style vestimentaire. Ce marché, en croissance constante (il y a plus de téléphones portables que de brosses à dents dans le monde) repose pourtant sur des fondations pas très reluisantes. Le magazine « Cash Investigation« , diffusé sur France 2 le 4 novembre dernier, a mis en lumière les pratiques douteuses de l’industrie du high-tech.
Electrochoc
J’avoue, ce n’était pas la première fois que j’entendais parler des conditions de travail des ouvriers dans les usines chinoises. L’usine foxconn, qui travaille pour la plupart des grandes marques de smartphones, a été placé sous les feux des projecteurs médiatiques à plusieurs reprises pour la façon désastreuse avec laquelle elle traite ses employés.
Cette fois-ci, cela va encore plus loin. Des enfants mis au travail 13 heures par jour dès l’âge de 13 ans, pour 160 € et deux jours de congés par mois, exploitation de mines en République Dominicaine du Congo sans aucune mesure de sécurité, l’exploitation du néodyme qui provoque une pollution de 11 kilomètres carrés et de nombreux cancers parmi la population, … La production de ce néodyme, qui sert à la fabrication des petits aimants que l’on retrouve dans nos smartphones, crée une tonne de déchets pour une tonne de produit final !
Aucune marque n’est épargnée par le reportage. Apple, LG, Samsung, Sony, HTC, Huawei, Wiko, toutes portent en elles les stigmates de la souffrance de populations trop pauvres pour n’avoir d’autre choix que d’envoyer leurs enfants au travail. Quand on met dans la balance le coût de la main d’oeuvre et les bénéfices colossaux de ces différentes entreprises, il y a de quoi avoir des vertiges.
Tout à coup, le concentré de nouvelles technologies qui m’accompagne au jour le jour m’apparait nettement moins séduisant.
Que font les responsables communication des marques ?
Le plus choquant dans ce reportage, c’est le mutisme des marques. Omniprésentes dans les médias pour vanter la qualité et l’innovation de leurs produits, celles-ci se ferment totalement devant les questions des journalistes. Ainsi, nous suivons les pérégrinations d’Elise Lucet et Martin Boudot, tentant désespérément d’obtenir des informations, un rendez-vous, une interview de la part des différentes marques.
Toutes se taisent, sauf le directeur de Wiko, Michel Assadourian, qui acceptera de parler devant les caméras. Durant son entretien, son attitude semble sincère, il ne nie pas les faits et reconnait honteusement son ignorance. Les photos et vidéos semblent l’émouvoir et il permet à sa marque de conserver un capital sympathie, en espérant que les paroles seront suivies de faits. Wiko a ainsi désamorcé la bombe médiatique qui planait au dessus de sa tête.
Comment peut-on encore choisir le silence face à un temps de crise à notre époque ? Comment peut-on se murer dans le mutisme le plus profond quand la réputation de la marque est en jeu ? Pire, comment se taire quand les pratiques les plus répugnantes sont placées sous vos yeux ?
On communique toujours, quoiqu’on fasse et le silence est une forme de communication. Que dégage t-il ? La panique, la mauvaise foi, le culte du secret, la honte, le fait de se savoir pris la main dans le sac ? Une chose est certaine, il n’inspire pas le sens des responsabilités ! Après de nombreuses tentatives de contact des responsables de Samsung, l’équipe de Cash Investigation décide de passer à l’action. C’est ainsi que la séquence tournée lors d’une keynote (grand show en l’honneur du dernier appareil de la marque) de Samsung ferait presque sourire (amèrement) tant le PDG Europe et Florence Catel, directrice de la communication, peinent à se débarrasser du micro tendu d’Elise Lucet. Silence embarrassé, sourire commercial et fuite précipitée. Voilà comment on gère la communication chez Samsung.
Chez Huawei, c’est pire. Cela pourrait devenir un cas d’école ! Encore une fois, l’équipe de journalistes a cherché à obtenir une interview à de nombreuses reprises. En vain. Quand Elise Lucet réussit enfin à l’approcher et à lui poser des questions précises sur des sujets tout aussi précis, nous voyons le président français de la marque chinoise, François Quentin, se dresser comme un coq, demander une pièce d’identité et une carte de presse à l’un des visages les plus connus du journalisme français et s’enfuir vers sa voiture.
Mais tout cela aurait pu sembler n’être que de la « phobie journalistique » (à notre époque, tout est possible) mais ce gentilhomme ne s’arrête pas là. Deux jours plus tard, convaincu de son bon droit, il ira jusqu’à déclarer lors des Assises de l’industrie : « J’ai activé tous mes réseaux et madame Lucet n’aura plus aucun grand patron en interview, sauf ceux qui veulent des sensations extrêmes ou des cours de Media Training ! » Patron d’une autre époque, communication d’un autre âge, on peut imaginer la pression qui a du lui être mise pour qu’il revienne sur ses déclarations quelques jours plus tard sur Twitter :
J’ai été déstabilisé par l’approche de #CashInvestigation. Je respecte le travail journalistique de cette équipe.
— Francois Quentin (@FrancoisQ) 8 Novembre 2014
Je n’ai pas l’intention de porter atteinte à la réputation de l’équipe #CashInvestigation et regrette sincèrement ces propos mal exprimés.
— Francois Quentin (@FrancoisQ) 8 Novembre 2014
Le plus grand poids face aux marques : l’opinion publique
Si les marques ne communiquent pas durant la conception du reportage, elle redeviennent brusquement loquaces au lendemain de la diffusion du reportage. Le bad buzz engendré sur les réseaux sociaux les fait sortir du silence. Dommage d’avoir tant attendu !
Il est toujours préférable d’être intégré au débat lorsqu’on parle de vous, de faire entendre votre voix. Que vous soyez en faute ou pas, vous pouvez ainsi expliquer les raisons d’une mauvaise image, d’un mauvais choix ou vous excuser pour votre erreur. Le silence renforce l’idée que l’entreprise est au courant et qu’elle veut se préserver.
On ne se défait pas d’un bad buzz en courant vers sa voiture ou en ayant des propos vengeurs. Tout cela ne fait que contribuer à votre mauvaise image de marque. Comme le dit très justement Olivier Cimelière : « En essayant malgré tout de passer en force et de balayer d’un revers méprisant les sollicitations journalistiques, Huawei a également « gagné » l’assurance d’être durablement dans le viseur des médias. »
On ne peut toujours garder le silence, surtout quand l’opinion publique s’empare du débat. Ainsi, on a vu poindre les premières excuses, celles d’Huawei, Microsoft, Alcatel. Les marques font leur mea culpa au travers de communiqués, façon « nous ne savions pas, mais promis, nous allons régler tout ça. Nous sommes socialement responsables, bla bla bla … »
Je crois que ce n’est pas le reportage lui-même qui a amené certaines marques à réagir, c’est la réaction en chaîne qui a suivi des consommateurs. Ces marques, qui se sont emparées très tôt des réseaux sociaux, peinent encore à réaliser l’impact du mécontentement des consommateurs. De simples communiqués ne sont pas suffisants, il va falloir davantage comme gage de leur bonne volonté.
Au delà des marques, notre responsabilité !
Pour une fois, j’aimerai aller plus loin que la thématique « Communication » de mon blog. Certes, on peut pointer du doigt les vilains industriels qui polluent la planète et asservissent les enfants. Comme eux, nous pouvions dire « nous ne savions pas », mais plus aujourd’hui. Il est certain que nous n’allons pas arrêter d’utiliser nos smartphones et revenir en arrière. Pourtant, nous pouvons faire des choix.
Tout d’abord, faire en sorte que ça ne s’arrête pas là. Nous savons tous que le bad buzz ne dure pas. C’est ce sur quoi comptent certaines marques, dont Samsung qui ne publie rien sur sa page Facebook, attendant simplement que la tempête passe. Elle se contente de ne pas voir les messages d’indignation des consommateurs, que tout se tasse et que chacun revienne à ses habitudes de consommation.
Vous pouvez continuer de réagir sur les réseaux sociaux et faire entendre votre voix. Comme le reportage le rappelait en conclusion, certaines marques de textile dans les années 90 ont du changer certaines de leurs habitudes devant la grogne des consommateurs. Ca n’est pas encore parfait, loin de là, mais il y a eu du mieux.
Si cela a été fait durant les années 90, aujourd’hui la voix des consommateurs porte davantage. Réagissez sur les profils des constructeurs de smartphone. Votre fidélité ne peut se porter vers des marques qui ne respectent pas les droits du travail, les droits de l’enfance et qui polluent à outrance.
Certes, j’enfonce des portes ouvertes. Mon discours peut paraitre utopiste, un brin candide, mais voir tant de destruction pour de simples gadgets loin d’être indispensables me parait indécent. De mon côté, mon Sony Xperia va voir sa durée de vie très largement prolongée et mon prochain achat prendra en compte la dimension écologique et éthique de la marque. Pensez-y, si votre appareil vous coûte cher, il inclut le prix du sang de pauvres gens. Notre téléphone vaut-il ce prix ?
Si vous ne l’avez pas vu, voici le lien vers le reportage de Cash Investigation.
Hello,
je n’ai pas vu le reportage, mais ce que j’en ai lu ici et là me donne une bonne idée de sa teneur. je vais être cynique, mais que va faire le consommateur? S’émouvoir deux jours et puis plus rien! Car si une marque dit demain, je bosse « propre », mais j’augmente mes prix de 50 à 100%, qui va suivre? Personne à mon avis. On paye déjà nos téléphone une petite fortune, si en plus il faut « gérer » la bonne conduite de cette industrie et voir les prix flamber, c’est la mort de cette industrie. Donc oui, je pense (cyniquement) que ne rien dire / ne rien faire est le plus efficace pour les marques, il suffit d’attendre une semaine qu’on oublie.
De manière cynique, je ne vois pas trop comment faire. Se passer de portable, Impossible! Enfin, si mais très difficilement! Boycotter les marques « sales »? Elles le sont toutes vu que tout est fabriqué en Chine plus ou mins de la même manière..Sincèrement, je compatis, mais je ne vois pas top comment agir à mon niveau..
Bonjour Stéphane,
Bravo pour cet article !
Tout comme vous, je savais déjà que la fabrication de nos smartphones passait par l’emploi des enfants et l’exploitation de pauvres gens. Sans chercher à en savoir plus, je me contentais de ne pas changer de portable sans raison.
Je pense que vous avez raison, il faut faire pression sur les marques.
Malheureusement, comme le dit Mat, les consommateurs vont vite se taire de crainte de voir les prix s’envoler. Et cette crainte est totalement justifiée car les marques préféreront augmenter les prix plutôt que de réduire leurs marges ou réduire les coûts sur d’autres postes.
Faut-il pour autant ne rien faire et être complice de ces ignominies ?
Les industries occidentales ont longtemps eu recours à des pratiques équivalentes. Des enfants travaillaient et mourraient dans les mines pour quelques sous… Au moins jusqu’à la fin du XIXe. Tout cela a cessé et les mines et les usines ont continué à produire et à vendre.
Il n’y a pas de raison que cela ne se fasse pas là-bas. Certes pas du jour au lendemain. Mais nous pouvons déjà arrêter de nous rendre complice en stoppant la course au dernier modèle !!!
Enfin, à noter qu’il existe une petite entreprise, néerlandaise je crois, qui produit un smartphone « éthique », sans doute pas aussi puissant que ceux des grandes marques, mais on ne peut pas tout avoir.